vendredi 13 mai 2016

Radiohead – A Moon Shaped Pool #radiohead


Durant l’automne en Normandie, le ciel est noir et menaçant, les nuages passent si bas qu’on pourrait les toucher, il y a du vent, il pleut plusieurs fois par jour. Entre St Romain de Colbosc et Saint Aubin Routot, les gouttes de pluie me fouettent les joues malgré la faible vitesse de mon solex. Chateaubriand est au programme de français cette année scolaire 1997-1998, je suis en première et je vais chez mon pote Brice passer le mercredi après-midi. Il vient d’acheter le dernier Radiohead : OK Computer.

La révélation.

Pourtant depuis la découverte du groupe lors d’un voyage linguistique outre-manche, j’avais un peu suivi, disons que j’avais surtout sur-écouté Creep et ces fuckin’ special trop fendards quand on a 14 ans. C’était le temps des compiles Reservoir Rock, de Nirvana, Noir Dez, des surchemises, des cheveux longs et des Discman avec ESP pour pouvoir écouter dans le car de ramassage scolaire malgré les cahots de la départementale Saint Romain Lillebonne, enfin quand le chauffeur ne mettait pas trop fort Joe Satriani…
OK Computer était la bande son parfaite de cet hiver 97-98, et ça se prolongea. Une tristesse et une colère enfouie, parfait pour les premiers de la classe qui ont peur des filles. Le micro d’argent c’est pour ceux qui choppent. 10 ans plus tôt et c’était les Smiths…

Après, ça s’est un peu tassé, j’ai du mal avec Kid A, moins avec Amnesiac, grâce à Pyramid Song. Et puis j’ai plus trop suivi, piochant juste quelques titres par-ci par-là, 2+2=5, Reckoner puis plus rien. Manque de mélodie et surtout d’émotion : les machines et les rythmes alambiqués avaient tué le mal-être, il ne restait que la plainte geignarde… (cela n’engage que moi bien sûr !)

Pourquoi je vous parle de tout ça ? Du mauvais temps normand et de la mélancolie inhérente à l’adolescence ? Et bien parce que je viens d’y replonger brusquement à l’écoute du dernier album de Radiohead. Revoilà la délicatesse, la mélancolie, les mélodies, le piano, les guitares, une voix claire. L’émotion est de retour, les chansons lisibles et accessibles aussi, c’est beau à en pleurer.

Car oui cet album de Radiohead est parfait (ou presque), de prime abord calme et simple, mais bougrement complexe et produit. Il y a bien sûr le grand retour des mélodies autour d’instruments classiques, piano, guitare, mais il a des arrangements classieux, un peu d’électronique, beaucoup de cordes avec quelques envolées symphoniques, des chœurs distants et vaporeux et une voix non trafiquée. Bref, 11 titres magnifiques, principalement des ballades, bourrées de classe et dégoulinantes d’émotions : la délicatesse de Glass Eyes, Identikit et son refrain en mantra appuyé par une basse, l’électro de Tinker Tailor Soldier Sailor Rich Man Poor Man Beggar Man Thief, le folk de Desert Island Disk et sa guitare sèche, la mini symphonie Daydreaming avec ses attaques de guêpes enragées, un morceau plus pop rock avec Burn The Witch, Decks Dark et sa superbe ligne mélodique que n’aurait pas reniée Damon Albarn. Et bien entendu ma préférée : Present Tense, sur une rythmique bossa très sensuelle, une guitare délicate et des chœurs délicats, vient se poser la voix de Thom Yorke, une mélodie belle à pleurer.

Et l’album se conclut par la déchirante True Love Waits, un titre composé dans les années 90 souvent joué en concert. Un (ou 2) pianos, Thom et de l’émotion pour nous achever. « I’m not living, i’m just killing time”, tout est dit…



J’ai replongé tout entier dans cet hiver 97, mais cet album n’est pas pour autant une madeleine de Proust, il est moderne, c’est un album d’aujourd’hui, d’hier et surtout de demain, un classique intemporel en devenir, rien de moins. Accessible, mais expérimental, plein d’émotion mais aussi minutieusement produit et peaufiné, audacieux et simple à la fois. 

En se resserrant dans le carcan de la chanson (couplet – refrain – etc), Radiohead s’est retrouvé, plein d’inspiration et d’émotion, et donne une grande leçon de pop music.

La classe quoi.






mardi 10 mai 2016

Griefjoy – Godspeed #griefjoy


On avait laissé Griefjoy en plein doute existentiel, entre pop et envolées électro, calme et tempête, entre Grief et Joy comme son nom l’indique. 3 ans plus tard, le barycentre semble toujours aussi dur à trouver, la dualité est toujours très présente entre morceaux pop et ensoleillés et grisaille technoïde flippante et mélancolique. Pas très loin d’Hot Chip, Caribou ou même de Moderat (si on s’enfonce dans les ténèbres) dans l’intention donc. Mais surtout dans la réalisation. On a ainsi affaire a un vrai virage électronique : exit les guitares, on ajoute encore plus de nappes, de beats, de basses synthétiques séquencées, de machines. Mais il reste toujours ce côté pop, ce gout de la mélodie délicate et accrocheuse et cette voix déchirante et cristalline de Guillaume Ferran. C’est vraiment elle le liant entre les différents titres, certains plutôt pop (Hollygrounds, Lights On, Why Wait, The Tide) et d’autres franchement électro (Into The Dream, Talk To Me, Scream Structure, Fool, Murmuration).

Alors évidemment les titres pop sont les plus accessibles, entêtants et, je l’espère, promis à un grand succès. Hollygrounds est assez sympathique, plutôt enjouée, très Hot Chip ou !!!, donc bien entendu à mon goût ! Le passage électro du milieu rend plutôt bien et lorgne même vers du Jungle UK, un peu à la manière de Disclosure. Lights On est plus cool, chaloupée, limite légère, très pop. C’est le single évident qui rappelle un peu le Phoenix de United dans l’intention et une certaine idée de la French Touch. Why Wait est très dansante et aussi géniale. Labyrinth et The Tide complètent aussi la collection de titres électro pop « faciles » et efficaces. Pour ma part, cette facette ensoleillée me plait particulièrement. Disons que je pourrais même m’arrêter là ! Mais ce serait dommage, il faut aussi creuser un peu pour prendre la pleine mesure de cet album, et y trouver d’autres pépites.
Prenons Godspeed, surement le morceau le plus ambitieux. Instrumental, définitivement électro avec ses beats technoïdes, le titre est assez trippant et vous emmène dans une Rave Party dans un squat pourri de Berlin en bordure de voie ferrée (Si je n’y étais pas déjà allé je n’aurais pas été aussi précis) et tout d’un coup arrive un piano obsédant, sur un motif rappelant le Sinnerman de Nina Simone et fait décoller le morceau. 
Scream Stucture est aussi intéressante, plutôt douce, elle se retrouve lacérée d’envolées électro inquiétantes et se termine en techno berlinoise épique, Moderat en ligne de mire. 
Murmuration lorgne vers du Radiohead, mais avec Michel Legrand en guest star et se révèle être un excellent titre avec un chant fabuleux, du grand art. You My Love et Fool, lorgnent vers du The XX (ou du Jamie XX) boosté à la house.
Certains vont être largués en route, la mue est impressionnante, le changement radical, les timides envolées électros du premier album font bien sourire face à cet album 100% digital. Une chose est cependant restée : la dualité déjà présente dans le nom. Cet album est à la fois solaire et inquiétant, triste et joyeux, en tout cas sacrément riche, beau et impressionnant.



dimanche 1 mai 2016

Woods – City Sun Eater In The River Of Light #woods


Cela fait longtemps que les newyorkais de Woods roulent leur bosse dans l’indépendance. Tout d’abord autoproduits avec les limites que cela comporte, mais la liberté que cela apporte, cela fait 2 albums que Woods a décidé de sortir du bois et de se laisser apprivoiser par un producteur. Et grand bien leur en a pris car ils n’ont pas perdu leur âme au passage. L’ours est juste un peu mieux léché.
With Light And With Love, sorti il y a deux ans était déjà bien, celui-ci est encore meilleur.
De nouvelles influences viennent s’ajouter comme des touches de reggae, des percussions, du desert rock trainant. La production s’étoffe par des cuivres, le son est plutôt clair, la basse bien rendue. La voix en falsetto de Jeremy Earl fait des merveilles et colle parfaitement avec la nonchalance reggae ou tout simplement laid-back et donne au tout un grain 80’s. Car oui c’est nonchalant, décontracté du gland, léger. Leger dans l’intention globale, mais dense dans la construction, complexe et fournie.

Tout commence avec la surprenante ouverture de Sun City Creeps, génialement reggae, mais pas que, rock et afro jazz viennent s’ajouter pour finir en un jam excitant et malgré tout concis. On enchaine avec la magnifique Creature Confort, gentiment laid back, douce et agréable, du haut niveau. On trouve aussi un desert rock un peu laid back avec Hang It On Your Wall très bien, de la pop classique un peu datée avec une mélodie imparable sur The Other Side ou Hollow Home dans un style avoisinant avec une guitare wha wha qui n’aurait pas dépareillé sur Catch A Fire de Bob Marley. Il y a aussi The Take avec ses percus, ses échos sur la guitare, une bonne poussée psychédélique mais très contrôlée, pas de dérapage, les cuivres reprennent vite le dessus pour retourner sur terre, grandiose. Pas comme I See In The Dark qui s’égare plus dans le psychédélisme, un peu chiant dirons-nous. On notera aussi Politics Of Free, faite comme un single, mais qui peine à convaincre tant elle semble formatée pour le marché américain.
Le reste convainc un peu moins facilement, comme Morning Light plus Americana, avec pedal steal de série ou Can’t See At All à la limite du ska.

Bref, malgré quelques baisses de régime qui gênent peu, voici un excellent album de Woods, surement le meilleur même. La bande a décidé d’élargir le spectre en lorgnant vers les Antilles et de maitriser sa fougue par une production plus carrée. Le résultat est plus que probant et certains titres de cet album resteront longtemps pour moi.

Je vous conseille sans plus attendre de découvrir cet album de ce groupe malheureusement peu connu du grand public. En espérant que ça change !